L’usage d’entreprise : l’identifier, le modifier, le supprimer (cas concrets)
Ne vous êtes-vous jamais dit « Les habitudes ont la vie dure », en vous regardant vous-même avec un peu d’humour ou un collègue quelque peu réfractaire au changement?
Evidemment oui !
La force des habitudes est d’autant plus grande au sein d’une entreprise que ces dernières peuvent constituer des avantages directs ou indirects auxquels sont attachés les salariés.
Leur respect est alors revendiqué au nom de l’application des usages d’entreprise.
Néanmoins, toutes les habitudes ne sont pas des usages et distinguer les deux notions est essentiel, surtout lorsque la « norme » en question est inefficace ou injuste, voire nocive.
La question est donc la suivante : comment identifier un usage d’entreprise ?
Selon la définition jurisprudentielle, un usage est une pratique constante, fixe et générale.
- Concernant la constance de l’usage, les juges n’ont jamais posé de jalon de temps ni précisé l’ancienneté nécessaire pour qu’une pratique acquière la qualité d’usage. Il est néanmoins évident qu’une pratique d’une ou deux années n’est pas suffisante.
- Concernant la généralité de l’usage, celle-ci signifie que la pratique en question est applicable soit à toute l’entreprise, soit à un établissement en particulier, soit, à tout le moins, à une catégorie homogène de travailleurs.
- Concernant enfin la fixité de l’usage, celle-ci implique que ses règles d’application soient immuables et ne dépendent pas d’une appréciation discrétionnaire de la part de l’employeur.
L’application pratique de ces critères n’est cependant pas toujours évidente.
Prenons un exemple :
Une entreprise adopte une charte « Télétravail ». Cette dernière limite à 2 jours par semaine le recours à ce mode d’organisation du travail. Toutefois, antérieurement à l’adoption de cette charte, l’employeur a accepté toutes les demandes des salariés souhaitant bénéficier du télétravail à temps plein. Un salarié, souhaitant être en télétravail à temps plein, peut-il se prévaloir de l’existence d’un usage d’entreprise en la matière ou est-il soumis aux stipulations de la nouvelle charte ? Autrement dit, en acceptant de manière systématique les demandes des salariés en ce sens, l’employeur a-t-il créé un usage ?
La réponse nous semble négative et ce, pour plusieurs raisons :
D’une part, la pratique n’est pas générale ; l’employeur en question n’a fait que répondre positivement aux salariés qui demandaient le bénéficie d’une telle mesure. Cette dernière n’a pas été appliquée à toute l’entreprise, ou à tout un établissement, voire à toute une catégorie homogène de travailleurs.
D’autre part, le caractère fixe de cette mesure est largement discutable, l’employeur pouvant prétendre qu’à chacune des demandes de télétravail antérieures à la charte, la situation spécifique du salarié et de son poste dans l’entreprise a été étudiée. L’application de la mesure revêtirait alors un caractère discrétionnaire.
Enfin, une tolérance de l’employeur ne peut être considérée comme un usage dès lors qu’elle se heurte au règlement intérieur de l’entreprise (Cass. Soc 26/03/1981). Cette jurisprudence est, à notre sens, transposable à une charte télétravail.
En plus des critères de constance, de fixité et de généralité, la jurisprudence pose une condition à la qualification d’usage : la pratique en question doit résulter d’une volonté claire de la part de l’employeur de s’engager à l’égard des salariés. En conséquence, une pratique fixe, constante et générale ne constituera pas un usage si elle résulte d’une simple erreur de l’employeur.
Prenons un exemple :
En raison d’une erreur dans le paramétrage du logiciel de paie, tous les salariés d’une entreprise voient les heures non travaillées suite à un arrêt maladie entrer dans le décompte de leurs potentielles heures supplémentaires. Cette pratique perdurant depuis plusieurs années et ayant été appliquée à tous les salariés de l’entreprise, ces derniers pourraient revendiquer l’existence d’un usage. Pour contrer cette argumentation, l’employeur devrait prouver qu’il s’agit en réalité d’une erreur.
Dans l’hypothèse où il n’y parviendrait pas, il ne lui resterait plus qu’à dénoncer cet usage. Comment ?
En respectant 3 étapes :
1. L’information des représentants du personnel (s’ils existent). Attention, il est question ici d’information et non de consultation.
2. L’information personnelle de chacun des salariés concernés par l’usage. Une note d’information sur le panneau d’affichage ne suffit pas. Il est recommandé de procéder par courrier individuel avec preuve de remise.
3. Le respect d’un délai de prévenance suffisant. Ici encore, nous ne disposons pas d’informations précises sur la durée de ce délai. Il semble néanmoins que les juges établissent une certaine corrélation entre la périodicité de l’usage et son délai de dénonciation. Par exemple, une prime mensuelle instaurée par usage ne pourrait être supprimée sans avoir respectée un délai de prévenance minimal d’un mois.
L’employeur n’a pas l’obligation légale de motiver la procédure de dénonciation. Néanmoins, cette motivation nous semble indispensable d’un point de vue managérial.
Une fois ces étapes respectées, l’usage est donc valablement dénoncé et disparait de l’environnement normatif de l’entreprise : l’employeur n’a pas à ouvrir de négociations sur la matière de l’ex-usage et ce dernier ne s’incorpore aucunement au contrat de travail.